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Deux éclairages sur le rapport au livre d’Urbain Le Verrier

Colette Le Lay, Centre François Viète, Nantes Université

Ce focus propose deux archives illustrant, chacune à leur manière, le rapport au livre d’Urbain Le Verrier (1811-1877), découvreur de Neptune puis directeur de l’Observatoire de Paris. La lettre met en lumière le conflit ouvert avec François Arago (1786-1853), tandis que la note sur le catalogue de sa bibliothèque prouve qu’il faut prendre avec circonspection les listes d’ouvrages composées après le décès de savants.

Où l’on découvre une escarmouche entre Arago et Le Verrier, à propos d’un prêt d’ouvrage

En 1845, Arago confie à Le Verrier le soin d’étudier les perturbations constatées dans le mouvement de la planète Uranus, découverte par William Herschel en 1781. Après des mois de résolution d’équations différentielles, Le Verrier est en mesure de donner les éléments d’une nouvelle planète, observée à Berlin en septembre 1846. C’est une grande première : Neptune a été mise au jour par le calcul avant d’apparaître dans le champ d’une lunette astronomique. Tout le monde salue la performance de Le Verrier, aussitôt admis à l’Académie des sciences et au Bureau des longitudes. Mais très vite le climat s’envenime lorsque Le Verrier professe son mépris pour ses collègues et ne cache plus ses ambitions. C’est dans ce contexte qu’Arago écrit la lettre ci-dessous, datée du 10 décembre 1847.

Bibliothèque de l’Institut, Correspondance Le Verrier, chemise Arago, Ms 3710, cliché de l’autrice

Arago y rappelle qu’il a fait don à Le Verrier de plusieurs volumes de l’éphéméride du Bureau des longitudes La Connaissance des temps et qu’il lui a prêté la traduction annotée par Nathaniel Bowditch (1773-1838) du Traité de mécanique céleste de Laplace. Le Verrier ayant omis de rendre l’objet, Arago le lui réclame en des termes qui nous semblent plutôt courtois. Le Verrier ne l’entend pas ainsi qui note en haut à gauche « Cuistre !! Envoyé les volumes avec lettre polie. Chacun suivant son genre. »

Pourquoi Le Verrier conserve-t-il ces volumes pendant plus d’un an (Arago parle de « l’an dernier » et la lettre est datée du 10 décembre) ? C’est un mystère s’agissant d’une traduction en anglais de l’œuvre maîtresse de Laplace que Le Verrier connaît parfaitement. D’autant que, d’après le témoignage cité dans la deuxième partie de ce focus, Le Verrier sait seulement « un peu d’anglais ».

A la mort de Le Verrier, une note sur le catalogue de vente de sa bibliothèque.

La note qui va suivre est établie par Victor Advielle (1833-1903), un personnage singulier présenté sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), dont il était membre, en ces termes « fonctionnaire, bibliothécaire et collectionneur ». 3

« 11 février 1878 […] Leverrier n’avait pas à proprement parler de bibliothèque. Il ne lisait, au reste presque rien. Il avait fait de bonnes études au collège de Coutances, où il avait eu l’excellence en rhétorique ; il savait assez bien le latin et un peu d’anglais. Les autres langues lui étaient inconnues. Aussi, n’avait-il pu suivre que les travaux de quelques astronomes. Au reste, il ne jugeait digne de lui que les œuvres des plus grands astronomes.

J’ai achevé ce mois-ci la rédaction des catalogues sur fiches, de ce qui fut sa piètre bibliothèque ; et j’ai pu constater, en effet, que presque tout ce qu’il avait reçu, de France, d’Angleterre et d’autres pays, ces années dernières n’avait point été lu. Beaucoup de périodiques même étaient restés sous bande. Il en déchirait un coin, pour voir en quelle langue était l’ouvrage, puis le jetait au tas. Partie allait à la cuisine ; partie est ce qu’on va mettre en vente.

Il faut dire ici pour rendre hommage à la vérité, que le catalogue qu’on prétend faire accepter, dans le public, comme étant celui de Leverrier se compose surtout de livres appartenant à la librairie Gauthier-Villars.

C’est une petite supercherie qui après tout, ne fera de mal à personne.

Un exemplaire de ce catalogue est ci-joint.

L’impression ou plutôt la composition en a commencé le lundi 11 février. L’ouvrage a été achevé le [blanc], tiré à 9000 exemplaires, et distribué dans toute l’Europe et dans une partie de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique. 4

 

A cette heure, les ouvrages faits par Leverrier sont de toute rareté en librairie. Gauthier-Villars ne possède plus que les seuls exemplaires qui figurent au catalogue. Ils ont au reste, été tirés en petit nombre.

L’ouvrage de Leverrier sur le Soleil n’a tiré qu’à cinquante exemplaires. C’est dire quel en sera le degré de rareté dans quelques années. » 5

Dans la mesure où Victor Advielle a été chargé de la vente, son témoignage sur la bibliothèque originelle et ce qu’elle est devenue par adjonction de volumes provenant de Gauthier-Villars semble fiable. On y découvre une pratique des libraires qui s’est sans doute appliquée à d’autres bibliothèques de savants. Posséder le catalogue de vente de la bibliothèque d’un mathématicien fournit une information partielle qui ne renseigne malheureusement pas toujours sur l’usage qu’il en faisait. Avoir, comme ici, une source complémentaire facilite grandement le travail de l’historien.ne.

Les livres dans l’inventaire après décès de Le Verrier

L’inventaire après décès a été réalisé par l’étude de maître Jules Emile Delapalme, entre le 8 octobre 1877 et le 10 janvier 1878, à la requête de la veuve de Le Verrier (qui décède en novembre 1877), de sa fille Lucile et de l’époux de cette dernière Lucien Magne, ainsi que du fils de Le Verrier, Urbain Louis Paul 6 . Il est conservé aux Archives nationales sous la cote MC/RS//930 et numérisé.

p. 28 de l’inventaire après décès de Le Verrier, étude de maître Delapalme, archives nationales

Le lecteur pourrait penser qu’une page 27 précède celle-ci avec un premier paragraphe « Partie française ». Mais il n’en est rien : le début de liste est manquant.

A l’aide des indications chiffrées portées sur le document, on parvient à un total de 867 volumes mais plusieurs items portent la seule mention « un fort lot » sans autre indication.

Le catalogue de vente

Catalogue de vente, cliché de Guy Bertrand, Bibliothèque de l’Observatoire de Paris

Le titre de ce catalogue est assez sibyllin puisqu’il est question de « deux bibliothèques ». Seule la note manuscrite de Victor Advielle précise que « Ces livres et brochures proviennent en partie de Leverrier ».

Côté volumétrie, les 1085 items seraient assez comparables aux 867 et plus de l’inventaire après décès. Toutefois, certains périodiques dont le Journal de mathématiques pures et appliquées de Liouville sont présents dans toute l’étendue de la collection (42 volumes). Des items, comme « 701 - Mathématiques » rassemblent des brochures de nombreux auteurs (ici 68) dont on peut penser qu’il s’agit de tirés-à-part.

extrait de la page 42 du catalogue, cliché de Guy Bertrand, Bibliothèque de l’Observatoire de Paris

Au final, ainsi que l’annonçait Advielle, le catalogue n’est pas borné à ce qui a été trouvé chez Le Verrier à sa mort.

Seuls 13 livres comportent la mention « env. d’aut. à Le Verrier ». Dans la plupart des cas, il s’agit d’auteurs peu connus qui comptent sans doute sur Le Verrier pour accroître la visibilité de leur ouvrage. On note toutefois William Cranch Bond, directeur de l’observatoire de Harvard, ou John Herschel, fils du découvreur d’Uranus, ainsi que Johann Gottfried Galle, premier observateur de Neptune sur les indications de Le Verrier.

Dernière remarque : certaines brochures (dont par exemple un compte rendu de l’éclipse solaire du 21-22 décembre 1870, publié à Londres) figurent en plusieurs exemplaires (ici 14). On peut légitimement penser que Le Verrier était incité à les diffuser auprès de ses collègues. Et puis, petit clin d’œil à la première partie de ce focus, aucun ouvrage d’Arago ne siège dans la bibliothèque de Le Verrier.

En conclusion

Outre la lettre d’Arago et la note manuscrite qui ne contribue pas à présenter Le Verrier sous un jour plus sympathique que la plupart des écrits à son sujet, l’inventaire après décès, le catalogue de vente et la note d’Advielle nous incitent à ne pas surinterpréter les documents de ce type sur l’usage par les détenteurs des bibliothèques des volumes portés sur ces listes. Pour Le Verrier, une étude plus circonstanciée que ce rapide survol serait bien évidemment nécessaire.

 

[1]  Voir la thèse de Guy Bertrand « Les calculs de Le Verrier pour la découverte de Neptune à travers ses manuscrits », brillamment soutenue le 20 décembre 2023.


[2]  Thomas Préveraud m’a confirmé que Bowditch avait offert à Arago les deux premiers volumes de son ouvrage en 1829 et 1832.


[3]  Patrick Latour m’a fourni une source qui informe qu’Advielle fréquentait la Bibliothèque Mazarine et lui légua ses propres « manuscrits, livres, brochures et la totalité de ses papiers ». Après examen de l’ensemble des pièces disparates accumulées, la Mazarine refusa le leg.


[4]  Grand merci à Guy Bertrand qui m’a transmis les clichés de ce catalogue pris à la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.


[5]  James Lequeux cite la première partie de cette note dans sa biographie Le Verrier Savant magnifique et détesté, EDP Sciences/Observatoire de Paris, 2009, p. 129-130.


[6]  Le second fils de Le Verrier, Léon, est décédé en 1876 des suites d’un empoisonnement accidentel ou volontaire. Advielle parle d’un suicide.

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