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Les tribulations de la bibliothèque du Bureau des longitudes
Colette Le Lay, Centre François Viète, Nantes Université
Créé en 1795 par la Convention, le Bureau des longitudes poursuit toujours ses missions scientifiques tout en valorisant son patrimoine 1 . Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser penser, ses champs d’expertise sont vastes, allant de la mécanique céleste à la physique du globe. Depuis sa fondation, le Bureau des longitudes accueille en son sein des mathématiciens prestigieux, généralement membres de l’Académie des sciences (Lagrange, Poisson, Liouville, Poincaré, Borel, Darboux, etc). Mais le destin de sa bibliothèque porte les traces d’une histoire tourmentée.
Un premier demi-siècle de vie commune avec l’Observatoire de Paris (1795-1854)
Du décret de 1795 jusqu’à 1854, le Bureau des longitudes exerce la tutelle sur l’Observatoire de Paris et en partage la bibliothèque dans laquelle se tiennent ses séances hebdomadaires. François Arago (1786-1853) en est le premier bibliothécaire. Pendant cette période faste, nul n’éprouve la nécessité de faire la part entre le fonds ancien de l’Observatoire et les acquisitions récentes, issues d’achats ou de dons des membres et des correspondants étrangers du Bureau.
Comme dans les institutions savantes analogues, les membres offrent à leurs collègues leurs publications mais ils leur réservent aussi parfois la primeur de recherches en cours qui font l’objet de manuscrits annexés aux procès-verbaux.
Un réseau s’établit avec les observatoires et académies européens et l’échange traditionnel de livres et de périodiques se met en place, le Bureau éditant La Connaissance des temps et l’Annuaire.
Les procès-verbaux se font fréquemment l’écho de lectures d’ouvrages reçus. Le savoir se construit dans la confrontation et la complémentarité.
Deux décennies nomades après la scission (1854-1875)
En 1854, Urbain Le Verrier (1811-1877), auréolé du prestige de la découverte de la planète Neptune par le calcul des perturbations, obtient de Napoléon III la direction de l’Observatoire et la séparation d’avec le Bureau des longitudes dont il est pourtant membre adjoint. Celui que ses détracteurs surnomment l’homme au trident chasse le clan Arago de l’Observatoire et multiplie les vexations à l’égard du Bureau : clef de la salle de séance perdue, cheminée non approvisionnée. Plusieurs membres du Bureau élisent domicile rue Notre-Dame-des-Champs où s’effectue une partie des tâches. Les ouvrages acquis arrivent à l’Observatoire, lorsqu’ils proviennent de personnes ne connaissant pas la situation conflictuelle, ou au domicile des membres. C’est le début de la grande dispersion.
En 1870, suite à une démarche collective de la plupart des astronomes de l’Observatoire, Le Verrier est révoqué et remplacé par Charles-Eugène Delaunay (1816-1872), membre du Bureau. Pendant sa courte direction (il décède accidentellement en 1872), il découvre des cartons de livres et documents non transmis au Bureau.
Après ce bref intermède, Le Verrier retrouve son siège et continue le combat avec le Bureau qui tente d’obtenir un partage de la bibliothèque et des locaux autonomes.
Une ère de relative sérénité (1877- 1983)
1875 est une année faste pour le Bureau. Après de nombreuses démarches, il obtient enfin le prêt de locaux à l’Institut de France, et la création d’un « observatoire de la Marine et du Bureau des longitudes » au parc Montsouris, dans lequel sont formés les voyageurs en cette période de colonisation 2 .
De plus, en 1877, à la mort de Le Verrier, le Bureau retrouve un accès plein et entier à la bibliothèque de l’Observatoire.
Selon leur usage, les livres sont entreposés à l’Institut ou au Parc Montsouris.
Cerise sur le gâteau, le Ministère de l’Instruction publique accède en 1878 à une demande réitérée du Bureau et crée un poste de secrétaire-bibliothécaire, chargé de tout l’aspect administratif et comptable pris en charge jusque-là par les membres 3 .
L’un des secrétaires-bibliothécaires, Jules Tessier (1848-1926), entreprend un inventaire complet dans lequel il fait état de 9000 volumes dont 2000 plaquettes et tirés-à-part.
Toutefois la situation reste précaire : les trois pièces octroyées au Bureau par l’Institut ne peuvent contenir que 6600 volumes et leur entretien n’est guère à la hauteur. Ainsi, en 1931, un violent orage engendre des dégâts irréversibles sur certains volumes.
La dispersion continue (1983-2014)
Après des années de déshérence, l’observatoire du parc Montsouris est fermé en 1983 et les locaux sont alloués à l’Association française d’astronomie qui ne perçoit pas l’importance patrimoniale de certains des documents qui y sont conservés. Un bon nombre finit dans une benne d’où des manuscrits précieux sont extraits et vendus sur des catalogues anglais. Heureusement l’astronome Suzanne Débarbat veille au grain et parvient à sauver une partie du fonds.
A une date que nous ne sommes pas parvenus à déterminer, un autre lot abondant de documents (livres et manuscrits) est déposé dans une cave de l’Institut, certainement par manque de place. Le Bureau des longitudes a acté en 2018 la sauvegarde d’une partie des manuscrits 4 . Mais les livres demeurent dans cette cave, non adaptée à la conservation.
En 2014, l’Institut entreprend des travaux importants pour la construction d’un auditorium inauguré en 2019. Le Bureau des longitudes doit déménager provisoirement, transférant des documents au château de Ry-Chazerat dans la Vienne.
Lorsqu’il réintègre le Quai de Conti, deux mauvaises surprises l’attendent : la surface a été considérablement diminuée et une partie des meubles bibliothèques du début du XXe siècle a disparu. Depuis, il essaie de poursuivre ses travaux dans ces conditions dégradées.
Patrimoine mathématique
L’astronomie, la mécanique céleste, la météorologie, l’océanographie et plus généralement toutes les sciences qui occupent le Bureau des longitudes sont ce qu’on appelle des « sciences historiques », c’est-à-dire qu’elles s’appuient sur les données du passé pour construire le savoir du présent (à titre d’exemple, reconnaître le caractère périodique d’une comète nécessite des observations sur la très longue durée). Disposer d’une bibliothèque patrimoniale est un incontournable pour pratiquer les sciences astronomiques.
Comme nous l’avons souligné en introduction, de grandes figures des mathématiques du XVIIIe au XXe siècle siègent au Bureau des longitudes. C’est souvent un aspect peu connu et peu étudié de leur carrière. Pourtant ils accordent souvent une réelle importance à cette appartenance, livrant à leurs confrères le fruit de leurs travaux et envisageant les séances comme des galops d’essai pour des travaux ultérieurs.
Enfin, au fil de sa longue histoire, le Bureau des longitudes s’est construit un vaste réseau international d’échanges de publications. Autant le patrimoine des institutions les plus réputées nous est encore accessible aujourd’hui, souvent numérisé, autant celui de contrées disparues par suite des changements géopolitiques ne nous est connu que par ce genre de traces. D’où l’intérêt de sauver ce qui peut encore l’être.
[1] Notamment par le biais de sa collection : https://site.bdlg.fr/collection-du-bureau-des-longitudes. Les procès-verbaux (1795-1932) sont consultables sur le site dédié : http://bdl.ahp-numerique.fr/ conçu en collaboration avec les Archives Henri Poincaré (Université de Lorraine) et la bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
[2] Voir Guy Bostel, L’observatoire de la Marine et du Bureau des longitudes au parc Montsouris 1875-1914, IMCCE e/edite, 2010.
[3] Voir Guy Boistel, « Le Bureau des longitudes et ses nouveaux « secrétaires-bibliothécaires », entre 1878 et 1936 : un élément important de stabilisation de l’institution », in Martina Schiavon et Laurent Rollet (dirs) Le Bureau des longitudes au prisme de ses procès-verbaux (1795-1932), PUN – Éditions universitaires de Lorraine, 2021, p. 49-86.
[4] Voir Colette Le Lay, « Indiana Jones au Bureau des longitudes », Pour la science, 2018.