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La bibliothèque érudite d'un professeur

Rédigé par Jean Delcourt

Par le biais de catalogues de vente après décès, il est possible de reconstituer l'ensemble (ou presque) de la bibliothèque d'un individu. Cela est bien sûr digne d'intérêt lorsqu'il s'agit d'une personnalité, mais également dans le cas d'un particulier bien moins connu, en l'occurrence un professeur de mathématiques du XIXe siècle.

Eugène Prouhet

Pierre Marie François Eugène Prouhet est né le 8 décembre 1817 à Saintes (Charente Inférieure). Son père est huissier de justice ; il poursuit des études qui le mènent au baccalauréat es sciences en 1840. La même année, il est admissible au concours d'entrée à l'école normale supérieure, sans être reçu.

Il demande alors un poste d'enseignant, qu'il n'obtient pas, mais il est autorisé à suivre les cours de Sturm à l'école polytechnique. En 1842, Prouhet est licencié en sciences mathématiques. Il publie un mémoire de mathématiques qu'il envoie à diverses revues et personnalités (dont le ministre de l'Instruction publique) et redemande un poste; soutenu par les députés de son département, par Sturm, il obtient cette fois un poste et est chargé de la classe de mathématiques élémentaires au collège royal d'Auch. En 1846, il demande et obtient un congé sans solde (avec demi-traitement) pour préparer la licence de sciences physiques, ce qui lui permettrait de se présenter à l'agrégation de mathématiques.

En 1847, il est réintégré, au collège royal de Cahors, toujours en mathématiques élémentaires. Mais en 1849, à la suite d'une inspection désastreuse, on demande son déplacement. 
Extrait d'un rapport d'inspection :

M. Prouhet est d'une taille exceptionnelle par sa petitesse, boiteux et d'une figure peu avenante. [...] Les résultats obtenus par ses élèves sont très faibles. [...] Le peu de discipline qu'il parvient à maintenir est, sans conteste, la raison principale de son insuccès.

Le ministre nomme alors Prouhet au collège de Poligny, dans le Jura ; Prouhet, qui avait proposé d'autres établissements plus près de Paris, refuse cette nomination et se fait mettre en disponibilité, et termine ainsi sa carrière dans l'enseignement public.

De retour à Paris, il s'installe à Paris et poursuit une carrière d'enseignant dans des écoles ou institutions privées : en 1857, par exemple, il est professeur à l'École préparatoire des Carmes, examinateur à Sainte-Barbe et maître de conférences au collège Rollin. Lorsqu'il enseigne au collège Stanislas, son rapport d'inspection est bien plus positif :

Ce professeur très répandu dans les établissements libres, est habile et versé dans la préparation aux écoles spéciales. [...] Un peu froid, mais donne à ses élèves un enseignement solide, a sur eux de l'ascendance et obtient d'assez bons résultats. A beaucoup d'ÉruditionInspecteur Général Vieille, 1866)

Sa situation s'améliore lorsqu'il est nommé proviseur adjoint temporaire à l'école polytechnique en octobre 1857, puis qu'il devient titulaire en 1864. Cependant, vaincu par la maladie et sans doute par l'épuisement dû à ses nombreuses activités, il décède le 19 août 1867, à Saint-Bris du Bois, au domicile de sa sœur, près de Saintes.

Mon cher monsieur Catalan,
Des raisons de santé m'ont obligé à quitter Paris il y a deux mois et à venir chercher le calme et le repos dans le pays natal. Toutes les lettres qui arrivent à mon ancien domicile me sont adressées, mais les livres, mémoires, etc. restent en attente et je ne les verrai qu'à mon retour. Voilà pourquoi votre note sur les fonctions elliptiques n'est pas encore venue à ma connaissance, mais elle n'est pas perdue. Je voulais annoncer aux lecteurs du journal mon absence et les prier d'adresser toutes les communications à M. Gerono, mais celui-ci pensait que les savants ayant l'habitude de s'adresser à moi, nous priveraient peut-être pendant mon absence de leurs intéressantes communications. La raison était contestable, mais je n'aime pas à contester et j'ai laissé faire. Je n'ai aucune part  dans les deux dernières livraisons du journal, puis je me retirerai à la campagne loin du tracas, heureux de n'avoir plus à préparer aux examinations et à recevoir incessamment les mêmes démonstrations.

J'ai parcouru à la hâte votre traité de géométrie avant mon départ. Je rappellerai le compte-rendu favorable de Thibault, je vous féliciterai de n'avoir point donné la définition de la ligne droite et je vous blâme d'en avoir donné une de l'angle. L'angle se montre et ne se définit pas, à mon avis.

Tout à vous E. Prouhet

Saint Bris du Bois, par Saintes, Charente Inférieure. 

Le 12 août 1867

 

(de la main de Catalan) Prouhet est mort, je crois en 1868.

(en réalité, Prouhet est mort une semaine après  avoir écrit cette lettre)
 

La suite de Prouhet-Thue-Morse.

Eugène Prouhet est (un peu) connu pour le problème suivant : comment partager les n premiers entiers en k sous-ensembles A1, A2,...,Ak de même taille tels que les sommes des éléments des Ai soient égales, ainsi que les sommes des carrés des éléments des Ai, ainsi que les sommes des cubes,... Dans Une Communication à l'Académie des Sciences, en 1851, Prouhet donnera sa solution. Appelé maintenant problème de Prouhet-Tarry-Escott, il est, dans le cas où k=2, résolu à l'aide de la fameuse suite de Thue-Morse, omniprésente dans de nombreuses questions combinatoires.

Note : Voir par exemple l'article de Jean-Paul Delahaye "Des mots magiques infinis", dans Pour la Science, de septembre 2008, ou les articles et livres de J.P. Allouche et J. Shallit, The ubiquitous Prouhet-Thue-Morse sequence, article extrait de Sequences and their applications, Springer-Verlag, 1999.

Prouhet donnera d'autres résultats au compte rendus de l'AcadÈmie des sciences, et publiera divers articles dans des revues comme le Journal de MathÈmatiques Pures et AppliquÈes de Liouville.

Sa contribution aux mathématiques est en réalité surtout littéraire : il s'est consacré à l'édition des cours de Sturm à l'école polytechnique, le Cours d'Analyse  (2 vol.) 1857 et 1859) et le Cours de Mécanique (2 vol., 1861), à l'aide des notes de Sturm et de notes d'élèves. Il est également l'éditeur de différentes éditions du cours de géométrie de Lacroix (1855, 1871), des éléments d'algèbre de Bourdon (Gauthiers-Villars, 1873), rédige des solutions du livre d'arithmétique de Bertrand.

Prouhet sera également collaborateur et rédacteur des Nouvelles annales de mathématiques. Cette revue, dont le titre complet est : Nouvelles Annales de Mathématiques journal des candidats aux Écoles Polytechnique et Normale, a été créée en 1842, par Olry Terquem, bibliothécaire du dépôt d'artillerie, et Camille Gérono, professeur de mathématiques dans diverses écoles et institutions. Elle vivra jusqu'en 1927. Eugène Prouhet en fut l'un des deux rédacteurs à la mort de Terquem en 1862, et ce jusqu'à son propre décès en 1867.

Sa contribution à la revue commença en réalité dès 1842 : Terquem chronique un ouvrage intitulé Études sur les propriétés de quelques fonctions et sur la représentation des racines des équations par des intersections de courbes. Ce texte de 24 pages est écrit par Prouhet, alors étudiant de 25 ans, il tourne autour du théorème fondamental de l'algèbre. La suite de ses interventions dans la revue est continue : des articles, des questions (et des solutions), des lettres adressées à Terquem, et surtout des notes bibliographiques. Plus tard, l'érudit Terquem le salue :

« Le Erathosthenes Batavus, ouvrage très-rare, appartient à M. Prouhet, qui fait une collection d'ouvrages de mathématiques avec un discernement digne d'un excellent géomètre, digne d'un érudit consommé : qualités dont la réunion est aussi excessivement rare en deçà du Rhin. » (Nouvelles Annales de Mathématiques, 1857, suppl. bib. P 92)

C'est donc un professeur érudit, digne héritier de Terquem, qui a rassemblé la bibliothèque que nous allons décrire.

Une belle bibliothèque

 

Le catalogue

Eugène Prouhet décède en août 1867, sans descendance. Sa famille fait mettre en vente sa bibliothèque en février 1868, et le catalogue de cette bibliothèque est publié par le vendeur (chez J.-F. DELION, libraire, 47 quai des Augustins). La vente est prévue pour trois jours, et il y a 401 lots, certains ne contenant qu'un ouvrage, d'autres beaucoup plus. Le catalogue consulté est annoté : on voit les prix obtenus pour chacun des lots.

Certains livres de la bibliothèque sont rares, et se retrouvent parfois aujourd'hui dans des salles de ventes, comme le lot 155, un livre d'Arithmologie de Kircher (vendu par Giquello pour plus de 2000 euros). Un autre exemple : René Taton a étudié les exemplaires du livre De Revolutionibus Orbium Coelestium de Copernic. Il en a localisé un exemplaire de la seconde édition à la bibliothèque de l'École polytechnique. Ces livres se reconnaissent grâce à l'ex-libris de Prouhet.

Dans le catalogue, il y a trois grandes rubriques :

  • PHILOSOPHIE - lots 1 à 21
  • SCIENCES MATHÉMATIQUES - lots 22 à 388
  • OUVRAGES DIVERS - lots 389 à 400

Au total, 401 lots (il y a un 123 bis), mais plus de 500 ouvrages, car certains lots en contiennent plusieurs. Et bien sûr, certains ouvrages sont en plusieurs volumes.

Les ouvrages non purement mathématiques 

En philosophie (terme à prendre au sens large), vingt lots.
Les auteurs sont du XVIIe siècle ou du XVIIIe siècle. On trouve ainsi dans le premier lot les œuvres de Bacon (1730) en 5 volumes, les œuvres de Descartes (11 volumes, 37 F, édition de Victor Cousin (1824)), celles de Gassendi (6 volumes), de Leibniz, Malebranche, Mersenne, une édition des Principia de Newton (1726), ainsi que la traduction de la marquise du Châtelet (1759). Le livre le plus ancien est celui de Henri Regius, c'est une seconde édition de Philosophia naturalis.

Les "Ouvrages divers" sont peu nombreux. C'est un mélange un peu disparate, des ouvrages scientifiques ou historiques, des récits de voyage. Le dernier lot est constitué d’œuvres de Cicéron. Le commissaire-priseur signale le lot 395 : il s'agit d'un livre de Kircher.

Note : Athanase Kircher (1601-1680), jésuite allemand ; ses domaines d'étude sont extrêmement variés, il est considéré comme le père de l’égyptologie.

Publié à Rome en 1652-1654. "Ce savant ouvrage est le plus recherché et l'un des plus rares de tous ceux du P. Kircher". Il s'est vendu 33 F.

La bibliothèque mathématique

C'est la partie la plus importante de la bibliothèque avec 264 lots, offrant 342 titres. Le total des ventes atteint plus de 4300 F. Encore quelques livres rares : le plus ancien, par exemple, est une version de 1482 des Éléments d'Euclide, avec des figures, un des premiers livres imprimés par Ehrardt Ratdolt, célèbre imprimeur-éditeur.

SCIENCES MATHÉMATIQUES

I. Introduction - Histoire, Dictionnaires, etc.
II. Mathématiciens anciens grecs et latins
III. Mathématiciens modernes
A. Traités généraux écrits en latin
B. Traités généraux écrits en français
C. Traités généraux auteurs étrangers
IV. Travaux des académies et sociétés savantes
V. Mélanges et recueils de pièces
VI. Récréations mathématiques
VII. Mathématiques pures et appliquées
A. Généralités - Arithmétique et applications.
B. Algèbre

  1. Traités généraux
  2. Équations - Calcul différentiel et intégral - Analyse, etc.
  3. Probabilités
    C. Géométrie analytique
  4. Traités généraux et divers - Trigonométrie
  5. Quadrature du cercle - Sections coniques
  6. Géométrie pratique et descriptive
  7. Mécanique
    D. Astronomie
  8. Histoire - Astronomes anciens
  9. Astronomes modernes
    E. Optique - Dioptrique, Perspective, etc.
    F. Physique et Chimie

Détaillons un peu ce que l'on trouve dans les six premières parties.
Dans la partie I, on trouve d'abord des livres d'histoire des mathématiques. Il y a dix-sept ouvrages, dont les quatre volumes de Montucla (seconde édition), un Poggendorff (la première édition en deux volumes du célèbre dictionnaire, plus de 8500 entrées), L'Histoire des sciences mathématiques en Italie de Libri, et un des premiers ouvrages de Moritz Cantor, deux dictionnaires (Savérien, Klügel).

Dans les parties II et III, on trouve des œuvres d'Euclide, Pappus, Diophante, en latin ou traduites en français (27 ouvrages), pour les "anciens", et des quantités d'œuvres complètes (ou presque...) : les frères Bernoulli, Kepler, Leibniz, Newton, Wallis, D'Alembert, Desargues, Laplace, Abel, Galilée, Gauss, Jacobi...

La partie IV, écrits académiques et revues, est pour nous la plus étonnante et la plus monumentale. Il y a 26 lots, qui regroupent 40 ouvrages, mais surtout qui représentent 475 volumes ! Donnons quelques exemples :

  • Les 108 volumes des Histoires et Mémoires de l'Académie des Sciences, de 1666 à 1787, accompagnés des 9 tomes des Mémoires présentés par divers savants étrangers, des Recueils de pièces qui ont emporté les prix (8 volumes), ainsi que quelques mémoires (Cassini, Fontenelle, de Mairan, Condamine et Fontaine) publiés par l'Académie.
  • Les Mémoires de l'Académie (Sciences mathématiques et Physiques) de 1786 à 1806, puis les Mémoires de l'Institut, de 1816 à 1854, ainsi que les Savants étrangers (31 volumes).
  • Les Compte-rendus de l'Académie des Sciences de 1835 à 1867 (63 volumes).
  • 14 volumes des Commentarii de l'Académie de Saint-Pétersbourg.

À cela s'ajoute un grand nombre de collections de revues :

  • Le Bulletin de Férusac (20 volumes).
  • Les Annales de Gergonne (22 volumes) et, curieusement, un seul volume des Nouvelles Annales, dont Prouhet fut éditeur.
  • La Correspondance sur l'École royale polytechnique (Hachette).
  • Le Journal de l'École polytechnique (30 volumes, il manque 5 cahiers).
  • Le Journal de Liouville (31 volumes).
  • Des journaux italiens de Bellavitis, Battaglini, Tortolini...
  • Le Quarterly Journal of Pure and Applied Mathematics, le Journal de Crelle (11 volumes)...
  • Des journaux d'Académies étrangères (Berlin...).

Cet ensemble considérable est complété par des "Mélanges" et recueils de pièces ; il est remarquable que ces textes soient regroupés et reliés (il y en a plusieurs dizaines) de façon plus ou moins organisée.

La partie VII, mathématiques pures et appliquées.

On retrouve ici une classification thématique plus traditionnelle. Remarquons quand même que l'analyse et les probabilités sont sous le chapeau de l'algèbre, et la mécanique est dans le domaine de la géométrie analytique.

Cet ensemble contient donc la majorité des lots de mathématiques : au total 133 lots, représentant 169 ouvrages.
On retrouve encore beaucoup de livres "anciens" en latin, et pratiquement tous les livres parus récemment en France, notamment chez Bachelier. Il y a des ouvrages de théorie (la partie Analyse s'équilibrant à peu près avec la partie Géométrie), mais aussi de nombreux recueils d'exercices (dont des ouvrages scolaires), des tables (de logarithmes, etc.), des mémoires ou thèses, des ouvrages pratiques souvent anciens, parfois incongrus (Traicté des manières de graver en taille douce sur l'airin, A. Bosse, 1645).

Les prix de ventes, dates déditions...

Terminons cette description par quelques données chiffrées.

Les prix peuvent paraître peu élevés, surtout pour les livres anciens : la bibliophilie n'en est qu'à ses débuts... Pour la partie étudiée (mathématiques), le total atteint 4462 F, à mettre en rapport par exemple avec le traitement annuel de Prouhet à l'École polytechnique (1500 F, c'est un "temps partiel") et le prix de vente d'ouvrages récents : 4 F pour l'Introduction à la théorie des nombres, de Lebesgue en 1863, mais 30 F pour le premier tome du Traité de calcul différentiel de Bertrand, à la même période. Beaucoup de lots sont partis à 3 F ou moins, mais les collections sont plus chères : 410 F pour les tomes du Journal de Liouville, 320 F pour les Annales de Gergonne et seulement 132 F pour les 137 volumes des Histoires et Mémoires de l'Académie des Sciences, du XVIIIe siècle.

L'étendue des dates de publication est importante : depuis 1482 (édition des Éléments d'Euclide) jusqu'à l'année du décès de Prouhet. Dans le catalogue, elle est précisée dans la quasi-totalité des cas. Nous avons fait une répartition par tranches de 50 ans.

On constate sur cette figure une prépondérance du XIXe siècle, bien sûr, mais également une répartition sur tous les siècles, avec une forte proportion de livres anciens. Cela soulève une question : est-ce une bibliothèque de mathématicien ou une bibliothèque d'érudit ?

Les langues ne sont pas précisées dans le catalogue, et nous nous sommes basés sur les titres pour en déduire leur langue. C’est une bibliothèque qui favorise le latin et le français ; il y a aussi de nombreux textes en allemand, alors que l'on sait, par la correspondance de Terquem, que Prouhet ne maîtrisait pas cette langue.

Conclusion 

De façon générale, l'étude d'une bibliothèque, ou plutôt de son catalogue, entraîne une certaine frustration. On ignore beaucoup.

  • La matérialité : Où se trouvait-elle précisément ? Dans quelles pièces ? Tous les livres étaient-ils accessibles ?

  • Les conditions de sa constitution : Prouhet a-t-il bénéficié d'un apport initial ou de divers dons ? Professeur courant le cachet, il ne disposait peut-être pas de moyens financiers importants. En tout cas, la présence de collections quasi complètes comme les Histoires et Mémoires de l'Académie des Sciences est intrigante. Comment Prouhet s'est-il procuré de tels ensembles ?

  • Son utilisation : Il est certain que Prouhet a beaucoup utilisé cette bibliothèque pour son activité de rédacteur aux Nouvelles Annales, en rédigeant de nombreuses notes bibliographiques ou historiques. Cette activité lui a certainement permis de compléter ses collections d'ouvrages contemporains : on peut supposer que les éditeurs des livres concernés lui ont fourni des exemplaires. Cette bibliothèque était aussi à la disposition des amis de Prouhet, comme le suggère son ex-libris : "Eugène Prouhet et amicorum". On en trouve des traces dans la correspondance ou dans l’éloge de Terquem publié en 1863 dans les Nouvelles Annales.

"Il me demandait de lui communiquer l'ouvrage de Borelli De Motu animalium qu'il savait être dans ma bibliothèque. Je le cherchai en vain. [...] Enfin, je trouvai le volume et m'empressai de le lui transmettre. Cet ouvrage ne renferme que des démonstrations géométriques, à l'aide de figures difficiles à suivre ; étude pénible [...]" (p. 249).

Parmi les aspects les plus originaux de cette bibliothèque, il y a certainement le classement des livres : on peut faire l'hypothèse qu'il y avait en réalité deux bibliothèques. L'une, correspondant aux parties I à IV du catalogue, est une bibliothèque de référence, d'érudition. On y trouve des œuvres plus anciennes, des œuvres complètes et des écrits académiques. L'autre, regroupant les lots V à VII, est une bibliothèque de mathématicien, savante et moderne.

Ces deux bibliothèques sont des représentations de la position scientifique de Prouhet. C’est incontestablement un mathématicien "professionnel", dont les activités se partagent entre l'enseignement (dans des classes où l'on prépare les concours) et une activité modeste de recherche, mais plus conséquente de rédacteur et d'éditeur. Eugène Prouhet illustre ainsi une évolution de la profession de mathématicien, qui connaîtra un développement important avec l'essor de l'enseignement dans les classes préparatoires et l'enseignement universitaire dès les années 1870, peu après son décès.

 

[1] Testament olographe du Noble & Spectable Gabriel Cramer Professeur en Philosophie et Mathématiques, homologué le 18e janvier 1752, Archives d'État de Genève, Jur.Civ E 13, f. 131-132.


[2] Il s'agit de Beaupré Bell (1704-1741) que Cramer a rencontré lors de son séjour en Angleterre en 1727, et avec qui il a échangé quelques lettres en 1735-1737.


[3] Thierry Joffredo, Mort d’un “illustre et aimable savant”, Carnet « Courbes et osculations », https://cramer.hypotheses.org/146.


[4] Pour une biographie détaillée de Gabriel Cramer, voir la thèse de doctorat de Thierry Joffredo, Approches biographiques de l'"Introduction à l'analyse des lignes courbes algébriques" de Gabriel Cramer, notamment la première partie : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01852029v2.


[5] Même s’il serait théoriquement possible d’en retrouver certains par le biais, par exemple, de leurs inventaires après-décès, ou de la liste des livres qu’ils ont légués eux-mêmes à la Bibliothèque après leur mort (pour Jallabert, une telle liste datant de 1769, et contenant plusieurs ouvrages de mathématiques, est conservée à la Bibliothèque de Genève sous la cote Archives Dd 4, p. 335-338.


[6] Livres légués par Mr Gabriel Cramer Professeur de Philosophie mort le 4 janvier, Bibliothèque de Genève, Archives Dd 4, p. 250-254.


[7] Ce registre est conservé à la Bibliothèque de Genève sous la cote BGE Arch. BPU Ac 2, f. 42v.


[8] Sous la cote KB127, d’après l’inventaire réalisé et généreusement communiqué par Jean-Daniel Candaux : https://vge.swisscovery.slsp.ch/permalink/41SLSP_VGE/1duvoqc/alma991002143239705524.

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